Précaires : Un Livre Noir pour sortir de l’anonymat

Mercredi 9 novembre 2011

François Jarraud, du Café pédagogique, a rencontré un enseignant, faisant partie des 25 000 précaires de l’Éducation nationale, qui vient de publier sur son blog le « Livre noir des non-titulaires de l’Éducation nationale », un recueil de témoignages.

Appelons-le Lionel. Et disons qu’il travaille dans l’académie de Caen. Lionel est un des 25 000 enseignants précaires employés par l’Éducation nationale. Un anonyme qui se distingue des autres par la publication sur son blog du « Livre noir des non-titulaires de l’Éducation nationale ». Si l’on considère qu’une administration doit être évaluée au regard de la façon dont elle traite les plus faibles de ses administrés, qu’il est question de revenir sur le statut des enseignants, alors ceux-ci ont tout intérêt à observer comment sont traités les précaires. Et à les aider à changer les choses.

Parce que les témoignages qui composent le Livre noir sont proprement scandaleux. « Qui sommes-nous donc ? Question existentielle pour dissimuler une vraie humiliation de devoir faire un job en lieu et place d’un prof et être traitée comme une quantité ultra-négligeable », explique le premier témoignage. « Contractuel depuis 13 ans, en tant que professeur de catégorie 1, peut-on me dire si, dans mon salaire, on devrait tenir compte de mon ancienneté (car mon indice n’a jamais bougé depuis 13 ans) ? » affirme un témoignage voisin. Mais il faut lire ce Livre pour voir ce que veut signifie la précarité.

Nous avons rencontré Lionel pour savoir comment et pourquoi il a réuni ces témoignages. Et ce qu’il compte en faire.

D’où viennent ces témoignages et pourquoi avoir réalisé ce Livre noir ?

Il viennent en partie de mon blog, en partie de forums créés par les précaires où ils échangent sur leurs difficultés. Le Livre noir a un seul but : nous rendre visibles. On a beau être 25 000 tous nos problèmes semblent anodins et personnels. Mais en fait ils s’additionnent. Avec le Livre noir on a enfin une vue d’ensemble. On sort du cas particulier.

Quand on lit le Livre noir on découvre des choses tout à fait imprévues. Disons le : l’exploitation poussée très loin. Qu’est ce qui est le plus dur dans la condition de précaire ?

La totale insécurité. Vous ne savez jamais ni quand vous allez être payé ni combien. Par exemple si les vacances vont être payées, ou les heures de première chaire. C’est un problème énorme. Vous vous retrouvez avec un paquet de copies durant les vacances de la Toussaint sans savoir si vous allez reprendre à la rentrée. Pendant ce temps vous ne recherchez pas un autre emploi. Du coup on ne peut pas faire de crédit donc pas acheter d’appartement ou même de voiture. On vit au jour le jour. L’administration ne fait de CDI qu’à partir de 55 ans. Car les précaires ne sont pas forcément jeunes. On peut être précaire durant 10 ans, en CDD, sans avancement à l’ancienneté. Le salaire varie selon les académies. On a l’impression que c’est à la tête du client en fonction de l’urgence qu’elle ressent. Un précaire à taux plein gagnerait 1400 € par mois mais la plupart sont à temps partiel.

Comment se passent les relations avec l’administration ?

Au rectorat il n’y a pas d’humanité possible. On doit accepter tout ou être radié sur leur liste. Il n’y a pas de politique de relations humaines, pas de gestion réelle des précaires. On retrouve ces relations avec les proviseurs. Certains sont très bienveillants. Mais tous ont un droit de vie et de mort sur nous. Il suffit qu’ils cochent une case sur notre feuille d’évaluation et on ne nous prend plus. Alors on accepte les classes surchargées, les emplois du temps impossibles. Il suffirait de peu de choses pour que ça aille mieux. Faire les choses plus humainement. Déjà avoir un interlocuteur et non un répondeur…

Pourquoi rester enseignants ?

C’est un beau métier, un travail intéressant. On ne comprend pas trop comment on peut nous juger indignes d’enseigner au lendemain du concours et ensuite nous appeler au téléphone pour nous proposer des classes.

Qu’attendez-vous de la publication du Livre noir ?

On l’a envoyé à tous les parlementaires. On sait qu’il y a un projet d’accord sur les précaires mais on en attend pas grand chose. L’administration s’arrangera toujours pour qu’on ne remplisse pas les conditions pour avoir un CDI. Il suffit d’une grossesse ou d’une interruption pour que l’ancienneté s’arrête. On ne souhaite pas un CDI mais la titularisation. Pour ne plus être anonymes.

Propos recueillis par François Jarraud

Liens :

Voir en ligne : Source : Le Café pédagogique

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