Europe : un accord pour le pire ?

Article publié sur Mediapart
Mercredi 28 décembre 2011

« Après la politique monétaire, c’est la politique budgétaire qui est exclue de toute délibération démocratique » par le dernier accord européen, analyse Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic, membre du Conseil scientifique d’Attac. Et toujours sans apporter de solution à la crise.

« Les marchés désavouent l’accord de Bruxelles » (Le Monde, 16 décembre), « La France entre en récession » (Les Echos, 16 décembre). A peine l’encre de l’accord conclu au sommet européen du 9 décembre était-elle sèche que la réalité s’est rappelée aux signataires. Présenté, comme ceux qui l’avaient précédé, comme celui de la dernière chance, ce sommet a abouti à des résultats sans grande surprise qui illustrent une fois de plus que les dirigeants européens continuent de vouloir appliquer des recettes politiques et économiques qui ne peuvent que mener à la catastrophe.

Première recette : l’austérité budgétaire avec mise en place d’un « pacte budgétaire ». Il vise à rendre quasi automatiques les sanctions contre un État dont le déficit budgétaire dépasserait 3% du PIB, ou dont l’endettement dépasserait 60% du PIB, et à inscrire dans la loi fondamentale des États l’objectif d’un déficit structurel (hors variation liée à la conjoncture) inférieur à 0,5 % du PIB. Outre le caractère tout à fait contestable de cette dernière notion et l’aberration qui consiste à sanctionner financièrement un État en proie à des difficultés financières, ces règles, si elles avaient été appliquées lors de l’explosion de la crise financière de 2008, auraient empêché les États de secourir le système bancaire et de prendre des mesures pour combattre la récession. On peut contester l’insuffisance des mesures prises à l’époque, mais on imagine sans peine le cataclysme qui serait advenu si elles n’avaient pas été prises. Se focaliser aujourd’hui sur la réduction des dépenses publiques, alors même que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises stagnent, ne peut que mener à la récession.

Ce gouvernement par les normes, qui est la marque de l’ordolibéralisme allemand, n’est en rien, comme on tente de nous le faire croire, la mise en place d’une politique budgétaire commune. Celle-ci supposerait un budget européen conséquent, des investissements publics et des transferts financiers à l’échelle européenne, toutes choses dont il n’a pas été question à ce sommet. Il s’agit au contraire d’interdire toute politique budgétaire au niveau national comme au niveau européen. Après la politique monétaire, c’est maintenant la politique budgétaire qui est exclue de toute délibération démocratique. Le parachèvement d’une Europe antidémocratique est en route, avec un pilotage intergouvernemental dans lequel le gouvernement de droite allemand jouerait, de fait, le rôle central. Les Parlements nationaux et le Parlement européen seraient marginalisés et la souveraineté populaire mise sous tutelle.

Deuxième recette : une politique monétaire accommandante pour les banques et punitive pour les États. La Banque centrale européenne (BCE), qui s’est quand même résolue à abaisser son taux d’intérêt au niveau où il était après la crise financière, a décidé de laisser guichet ouvert aux banques qui pourront se refinancer sans limites au taux de 1% pendant trois ans, pouvant même déposer en garantie des titres dont la notation laisse à désirer. La situation ahurissante qui voit les banques emprunter à ce taux à la BCE pour prêter aux États à des taux nettement supérieurs va donc continuer ! Dans une situation pleine d’incertitude, ces sommes empruntées par les banques à la BCE sont gelées pour être immédiatement placées… auprès de la BCE. « Les banques empruntent pour redéposer l’argent tout de suite après », a été obligé de reconnaître son président, Mario Draghi, sans que cela ne change d’ailleurs rien aux orientations qu’il met en œuvre.

Le refus de la BCE de financer les déficits publics aboutit à laisser les États sous l’emprise des marchés financiers. Non content d’avoir obtenu le maintien d’une orientation qui lui donne un pouvoir extravagant sur les finances publiques, le lobby bancaire a obtenu qu’à l’avenir, les banques ne soient plus jamais mises à contribution en cas de difficultés d’un État. L’irresponsabilité des acteurs de la finance est ainsi encouragée.

Troisième recette : l’austérité généralisée et permanente. C’est la conséquence logique des orientations adoptées. Les politiques d’austérité se suivent et s’amplifient dans tous les pays. Outre leurs conséquences sociales souvent dramatiques, elles sont économiquement stupides, réduisant la demande globale. Dans une Europe économiquement intégrée, dans laquelle les clients des uns sont les fournisseurs des autres, elles ne peuvent mener qu’à la récession, que l’on voit déjà poindre. Cette récession conduira à une réduction des recettes fiscales qui aura pour conséquence de rendre encore plus difficile la réduction des déficits que l’austérité était censée favoriser, justifiant ainsi un nouveau tour de vis, qui aggravera la situation, etc.

Pourquoi alors les gouvernements européens mènent-ils une telle politique ? L’aveuglement idéologique et la bêtise ne sont pas à exclure, comme en témoigne la crise des années 1930 où l’on a vu les gouvernements de l’époque prendre à chaque fois les mauvaises décisions. Une autre hypothèse, non contradictoire, peut cependant être envisagée, celle de l’effet d’aubaine. Comme l’avait analysé Naomi Klein dans son ouvrage « La stratégie du choc », il s’agit pour les classes dirigeantes de se saisir de l’occasion pour remettre en cause frontalement les droits sociaux qui avaient été concédés auparavant et qu’elles n’avaient pas encore réussi à éradiquer. Dans cette hypothèse, la crise, produit des politiques néolibérales, serait ainsi une opportunité pour parachever le modèle néolibéral.

Les agences de notation font peser la menace d’une dégradation générale de la zone euro, Standards & Poors a mis la note de la plupart des banques européennes sous surveillance, Moody’s a déjà abaissé la note des grandes banques françaises et les taux d’intérêt ont recommencé à se tendre. L’année 2012 va voir les États de la zone euro devoir emprunter près de 800 milliards d’euros sur les marchés. Peut-on penser réellement que l’Italie, qui doit trouver 242 milliards d’euros, puisse durablement se financer avec des taux approchant, voire dépassant, les 7% ? Peut-on croire que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) dont les capacités financières sont réduites, malgré les 200 milliards qu’il est prévu de lui injecter, à supposer même que cela voit le jour, puisse éteindre l’incendie ? Peut-on considérer que les dettes et les déficits publics vont se réduire en période de récession ? La crise va donc s’accentuer, Angela Merkel pensant d’ailleurs que sa résolution prendra des années.

D’autres solutions sont cependant possibles, à condition de sortir de l’emprise des marchés financiers. Cela suppose d’abord que la BCE et les banques centrales nationales puissent, sous contrôle démocratique, financer les déficits publics. Il faut aussi une réforme fiscale d’ampleur qui permette de réduire les déficits et redonne des marges de manœuvres à l’action publique. Celle-ci pourra alors financer une activité productive tournée prioritairement vers la satisfaction des besoins sociaux et la transformation écologique en mettant les banques sous contrôle public. Il s’agit fondamentalement de repenser radicalement la construction européenne en mettant fin à des politiques d’austérité injustes et inefficaces et en mettant en œuvre des politiques économiques et sociales au service des populations. Ce sont de telles orientations qu’un futur gouvernement de gauche devrait commencer sans attendre à mettre en œuvre en France et qu’il devrait porter au niveau européen.

Voir en ligne : Source : Mediapart

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