La violence faite aux femmes

Samedi 21 mai 2011

Les 17 et 18 mars 2011, l’Union syndicale Solidaires, la FSU et la CGT organisaient pour la quatorzième année consécutive, à la Bourse du travail de Paris, les journées intersyndicales des femmes. Ces deux journées ont réuni près de 400 femmes et hommes qui ont, entre autre, débattu d’une question tristement récurrente : la violence faite aux femmes

Manu Piet (Collectif féministe contre le viol), Suzy Rojtman (Collectif national pour le droit des femmes) et Marilyn Baldeck (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) sont intervenues sur les points suivants :

  • les enjeux de la lutte contre ces violences ;
  • les avancées et les limites de la loi du 9 juillet 2010 ;
  • les violences au travail.

En France, il est incontestable que les luttes menées par les femmes depuis une quarantaine d’années ont permis de grandes victoires, notamment en ce qui concerne le droit de disposer librement de son corps. Pourtant, il est indispensable de rester extrêmement vigilant(e)s d’une part parce que bien des acquis sont remis en cause, et d’autre part parce que beaucoup reste à faire pour garantir aux femmes une réelle égalité face aux hommes.

De tout temps, à travers le monde, la domination masculine s’est portée sur le marquage du corps des femmes. Elle s’est déclinée par toutes les atteintes physiques possibles, poussant souvent jusqu’à l’horreur, voire la mort des femmes. Ainsi, le viol inscrit cette domination masculine dans tous les secteurs de la vie et vise systématiquement la réduction de l’intégrité des femmes. À titre d’exemple, il aura fallu attendre 1992 pour qu’en France le viol conjugal soit reconnu !

Les avancées législatives sont importantes mais encore insuffisantes. Outre la nécessité d’une réelle volonté politique, outre la nécessité d’agir immédiatement pour protéger physiquement les femmes victimes de violences, il est indispensable de changer les mentalités de l’ensemble de la population. Les mots employés, dans les médias par exemple, déterminent des représentations erronées et empêchent une véritable prise de conscience de tous qui permettrait d’imposer une réelle protection des femmes.

Dire « elle a mis 15 ans pour avouer qu’elle a été violée  », « elle s’est faite violée  », « Si elle avait parlé plus tôt... » c’est commettre une terrible inversion des termes en posant la culpabilité de la victime et en déplaçant la responsabilité. De même, trop souvent, les mots employés banalisent, minimisent les actes commis ou la responsabilité de leurs auteurs :

  • « Un pédophile est quelqu’un qui aime les enfants »
  • « Oui, mais c’est un crime passionnel »
  • « Il est violent avec sa femme mais c’est un bon père »

Les pouvoirs publics français manquent de volonté pour lutter contre les violences faites aux femmes, contrairement à l’Espagne, par exemple, qui s’est dotée d’une loi très complète pour lutter contre les violences de genre [1]. Une loi a toutefois été adoptée le 9 juillet 2010, au terme d’un long processus.

À la demande d’un collectif constitué de représentants syndicaux, associatifs et politiques, une commission parlementaire s’est mise en place pour analyser les situations de violences faites aux femmes et évaluer les mesures à prendre pour pallier les manques législatifs

Mais le rapport de cette commission ne s’est pas révélé satisfaisant, dans la mesure où il n’a pas analysé les violences faites aux femmes à travers le mécanisme de la domination masculine. Le législateur n’a finalement retenu que les violences conjugales et a refusé d’étendre la loi à toutes les formes de violence.

Le point fort de cette loi : l’Ordonnance de protection

Elle vise à protéger les femmes contre les violences conjugales et les mariages forcés, sur demande de la victime auprès du juge des affaires familiales (sans plainte préalable) ; une fois obtenue, elle permet, entre autres :

  • l’interdiction de sortie du territoire pour éviter le mariage forcé d’une mineure ;
  • l’obtention d’un titre de séjour ou son renouvellement pour une femme sans papiers ;
  • le rapatriement en France de femmes menacées à l’étranger ;
  • la suppression de la médiation pénale ;
  • la reconnaissance du délit de harcèlement (mais uniquement sur les actes violents, pas sur les mots employés !) ;
  • l’augmentation des quotas de logement d’urgence pour les femmes en danger ;
  • la suppression du délit de dénonciation calomnieuse (si une plainte pour viol était suivie d’un non-lieu, une femme pouvait être accusée de diffamation par celui qu’elle avait dénoncé)

Cette loi cependant présente bien des carences, notamment en matière de prévention ; rien n’est prévu pour la formation des professionnels. Elle ne prévoit pas non plus la création d’un observatoire national qui permettrait pourtant de recenser toutes les violences faites aux femmes et d’adapter mieux encore les réponses. Si elle définit le harcèlement sexuel comme un comportement en vue d’obtenir des faveurs sexuelles, elle exclut tous les comportements déplacés envers les femmes pourtant si fréquents. Enfin, elle ne permet pas à toutes les femmes de « bénéficier » d’une ordonnance de protection puisqu’elle ne reconnaît que les violences subies au sein du cercle familial.

Il reste donc à veiller à la stricte application de la loi (comité de vigilance) et à poursuivre la lutte pour faire adopter toutes les mesures manquantes.

Les violences au travail

Le monde du travail n’est évidemment pas exempt de cette violence, mais il est très difficile d’avancer des chiffres qui sont souvent très réducteurs.

Il suffit pourtant d’interroger les femmes pour prendre la mesure des choses. Quelle femme dans son environnement professionnel, n’a pas entendu des propos ou des blagues sexistes, n’a pas été victime de « drague », n’a pas observé des affichages à caractère pornographique, etc. ?

Sans évoquer les agressions sexuelles à proprement parler, il est important de considérer qu’il y a toujours un lien entre les choses dites mineures (souvent considérées comme banales ou sans importance) et les plus graves.

Il faut savoir qu’une femme qui dénonce une violence sexuelle subie pendant un entretien d’embauche ne sera jamais engagée. De même, si cette violence s’exerce sur son lieu de travail, elle risque de perdre son emploi ou de voir sa carrière stagner, de perdre des primes, d’être « placardisée », de devoir se réorienter professionnellement… Les responsables de ces agissements ne sont encore que trop rarement inquiétés et encore moins condamnés.

La plupart des salariées considèrent que les syndicats ne sont pas les bons interlocuteurs en la matière ; ils ne sont pas reconnus comme pertinents et qualifiés ; au mieux se tournent-elles vers le médecin du travail. Si la notion de harcèlement moral est de mieux en mieux prise en compte, celle du harcèlement sexuel reste encore taboue. Dans le monde du travail comme ailleurs, les clichés ont la vie dure, y compris au sein des syndicats !

Le viol est reconnu mais la loi n’est pas toujours claire quant à la qualification d’une agression sexuelle ou du harcèlement sexuel. Il n’est pas rare de voir les prud’hommes eux-mêmes refuser de statuer !

Pour parvenir à faire tomber tous les stéréotypes et à sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent non seulement les victimes mais aussi tous ceux susceptibles de les aider — bien souvent, les représentants du personnel « craignent » d’être saisis par une collègue. Que faire avec elle ? Que lui proposer ? N’est-ce pas juste la parole de l’une contre la parole de l’autre ? — il convient de réinvestir et d’utiliser sérieusement les outils existants :

  • les Instances représentatives du personnel (CHSCT, droit de retrait…) ;
  • la formation des élus et des salariés ;
  • le recours à des associations d’aide juridique telle que AVFT (Association contre les violences faites aux femmes au travail).

Les silences et les peurs qui entourent ces violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail ne sont pas une fatalité. Il est impératif de considérer ces violences comme procédant aussi des rapports de domination économique et sociale !

À ce titre, les syndicats doivent avoir non seulement un rôle d’aide et de soutien auprès des salariées victimes, mais ils doivent aussi contribuer à prévenir de tels agissements en luttant pour que recule la précarité, en refusant et condamnant toute pratique discriminatoire, en imposant des accords d’égalités professionnelles, etc.

Documentation :

Laurence Karsznia
Sundep-Solidaires Paris

[1Le mot « sexe » se réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes. Le mot ’genre’ sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes.

Violence de genre : manifestation de la discrimination, de la situation d’inégalité et des relations de pouvoir des hommes sur les femmes.

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